Lot n° 126
Sélection Bibliorare

Camille SAINT-SAËNS. — 52 L.A.S., 2 billets autographes et 3 télégrammes, 1918-1921, à Pierre Aguétant (une à Madame) ; 77 pages in-4, 36 pages in-8 et 6 pages in-12, 2 enveloppes, timbres secs à son monogramme, plusieurs en-têtes...

Estimation : 6 000 - 8 000 €
Adjudication : 17 920 €
Description
d’hôtels (petits défauts à quelques lettres, une déchirée et réparée).
Importante correspondance amicale à un jeune poète, en partie inédite, avec de précieuses confidences, pendant les quatre dernières années de sa vie.

Pierre Aguétant (1890-1940), jeune poète originaire du Bugey, a envoyé en 1918 à Saint-Saëns ses premiers recueils avec « l’idée fixe, lancinante, de voir quelques-unes de [s]es lignes inégales mises en musique par l’illustre compositeur ». Ainsi naquit cette amitié quasi paternelle envers le jeune poète ; le compositeur mit deux poèmes d’Aguétant en musique, et il écrivit une lettre-préface pour son recueil À fleur de chair (1919).

En 1938, chez Alsatia, Pierre Aguétant publia un Saint-Saëns par lui-même, formé de nombreux extraits des lettres qu’il avait reçues et de ses entretiens avec le maître, ordonnés, non chronologiquement mais thématiquement : une même lettre peut être ainsi répartie en deux, trois voire cinq citations, en diverses parties du livre ; parfois, il ne retient que deux courts passages d’une lettre, laissant le reste inédit ; et trois des chapitres prévus sont restés inédits, dont un sur la religion. Aguétant a noté d’un léger trait au crayon sur les lettres les passages à citer. Une trentaine de lettres citées dans le livre n’ont pas été retrouvées. Nous ne pouvons donner ici qu’un aperçu de cette très belle correspondance.
• 1918.
– Cannes 14 avril. « Modestes vers... grand honneur... notre plus illustre musicien… […] Ce n’est pas à un jeune homme de 82 ans qu’il faut dire ces choses-là. À mon âge, voyez-vous, on en a tant vu qu’on ne se laisse pas faire facilement... On me touche plus aisément par la simplicité. En somme, vous avez beaucoup de talent, vous êtes charmant et vous avez l’art, qui m’a toujours manqué, de savoir tresser des guirlandes. Celles-ci me sont indifférentes, mais je ne suis insensible ni au talent, ni à l’amabilité. Qu’importe si certains détails ne sont pas de mon goût ! Devant de si ravissantes, de si belles choses même, je n’ai qu’à m’incliner. Comme nature, je me rapprocherais plutôt de Clemenceau que de Massenet. Je ne le regrette pas. Et si l’on dit que j’ai mauvais caractère, je vous assure que ça m’est bien égal. Prenez-moi donc tel que je suis »... Citant notamment Le Poème du Bugey, il dit au poète son admiration et sa sympathie…
– 18 avril. Il lit La Tour d’ivoire qui fait ses délices, « par la justesse et la finesse des pensées, par la beauté de leur expression. Que vous faut-il de plus ? que j’embrasse vos genoux, comme Priam ceux d’Achille ? La vieillesse est si peu de chose auprès de la jeunesse et de la poésie ! Vous les possédez avec tous leurs dons et leurs adorables défauts. À mon âge on n’a plus que des défauts qui n’ont rien d’adorable »... Il pense mettre en musique L’Angélus…
– 1er mai. Il envoie les deux mélodies [L’Angélus et Où nous avons aimé] en recommandant de ne pas les laisser copier, car elles appartiennent à « la maison Durand, qui s’est assurée par un traité la possession de mes œuvres. Dans les compositions de ce genre, les vers ne sont pas pour moi un prétexte à musique ; je suis comme le lapidaire qui monte un diamant et rien de plus. Il s’ensuit que ces pièces demandent à être dites autant que chantées et n’ont aucune valeur, séparées du texte. Aussi ont-elles tout à perdre, quand elles sont interprétées par des chanteurs, comme il y en a tant maintenant, qui ne pensent qu’au son et pas au mot, et ne font pas arriver celui-ci à l’oreille de l’auditeur ». Pour ces morceaux, « la diction passe avant la voix ; avec une belle voix et pas de diction, il n’en resterait rien »...
– 4 mai. Il engage son poète à « renoncer à suivre l’exemple pernicieux des poètes qui ne voient que l’harmonie du vers et dédaignent les qualités que vous avez énoncées, telle Mme de Noailles, tel Mallarmé qui en était arrivé à ne plus parler français » ; et il cite l’exemple de Victor Hugo comme grand poète….
– 9 mai. Leçon de prosodie sur ée et é, et « les finesses de la langue française » ; car c’est une barbarie de « dire les vers comme de la prose »…
– 13 mai. « Quand on dit ce qu’on pense, on a vingt chances contre une de n’obtenir d’autre résultat que de se faire un ennemi ; mais cette chance unique de réussir crée pour moi un devoir auquel je ne manque jamais sans m’en dissimuler les inconvénients et sachant parfaitement le tort que je me fais à moi-même. […] Quand je fais des compliments, on peut les prendre au sérieux. Comme j’ai été un enfant prodige, ma mère avait une peur affreuse des adulations et m’avait dès l’abord mis en garde contre leur fausseté ; et je n’ai jamais cru les compliments que sous bénéfice d’inventaire. Je préférais les critiques, et bien m’en a pris »...
– 15 mai. Il reproche au poète « la recherche de l’inédit à tout prix, qui mène aux épithètes insensées et aux images fausses, comme elle mène en musique à la cacophonie et à l’incohérence. Et c’est une grande erreur de croire qu’elle donne l’originalité ; bien au contraire. Comme tous ceux qui veulent être bien modernes se sont empressés d’en faire autant, c’est devenu bien vite une banalité. C’est quand vous dédaignez ces artifices que vous êtes supérieur »... Et il raille La Reine de Saba de goldmark, avec une citation musicale de 6 mesures...
– 19 mai. Il doit retourner à Bourbon-l’Archambault pour soigner ses jambes : « depuis plusieurs années je lutte contre la paralysie. Elle avait même, un moment, gagné les mains »...
– 28 mai. « Mon principe est bien simple. Qu’est-ce que le vers ? Le langage soumis à certaines règles. Si l’on supprime les règles, il n’y a plus de vers. Ces règles, on peut les élargir, mais cet élargissement est une facilité donnée aux médiocrités »... « Pourquoi avez-vous réveillé ma muse endormie ? elle n’a plus voulu se rendormir ; et j’ai mis en musique des vers d’une jeune poétesse »... Curiosités de la ville de Grasse...
– Bourbon-l’Archambault 13 juin. « Bourbon n’est pas une grande station élégante comme Vichy ou Aix en Savoie ; Bourbon est un trou ; les réfugiés des régions menacées s’y sont brusquement abattus comme les sauterelles en Afrique »...
– 25 juin. Sur la religion : « On dit que la Foi rend heureux ceux qui la possèdent [...] j’ai été croyant et je ne le suis plus ; mais personne n’a cherché à me faire perdre la Foi [...] J’en suis sorti de moi-même, dans une crise qui fut douloureuse ; et depuis, loin de le regretter, je suis comme un malade rendu à la santé, comme un prisonnier qui a recouvré la liberté ! [...] Les Religions, sources d’art incomparable, sont elles-mêmes d’admirables œuvres d’art ; la liturgie catholique est une merveille ; aussi je l’aime et j’écris avec délices de la musique religieuse. Mais admirer et croire sont deux. La Religion catholique est une mythologie et rien de plus »...
– 5 juillet. « Il est bien connu que la Raison ne vient pas à bout de la Foi. Pourquoi, c’est qu’elles appartiennent à deux ordres d’idée entièrement différents ; c’est aussi que l’on n’ose pas regarder en face le terrible visage de la Vérité »...
– 12 juillet. « La Justice ! mais cela n’existe pas, c’est une invention de l’homme civilisé »...
– 17 juillet. « rodin a dit que l’Art était l’Exagération ; il s’est complètement trompé ; l’exagération n’est pas l’Art, elle le tue au contraire. Voyez l’architecture du moyen-âge, si parfaite au XIIIe siècle, et qui aurait dû rester notre architecture nationale et devenir celle de tous les pays du Nord : elle s’est exagérée aux siècles suivants et elle en est morte ; ce qui fait que tout le monde de civilisation occidentale est retombé dans le Grec et le Romain, si déplacés dans les climats septentrionaux, et dans une affreuse et assommante monotonie. Nous préférons le corps de la Femme à celui de l’Homme, parce que nous sommes des hommes ; mais, esthétiquement, le corps de l’homme est plus beau parce que rien n’y est exagéré. [...] J’aime à être aimé et ne comprends pas qu’on me déteste, moi qui n’ai jamais fait de mal à personne ; mais j’ai fait des œuvres appréciables et cela suffit. Je m’en suis aperçu dès que ma tête a commencé à surpasser celle de beaucoup d’autres qui ne me l’ont jamais pardonné. [...] La grande bataille fait rage. C’est horrible... »
– 29 juillet. « Je ne suis pas prophète, mais je crois que nous sommes destinés à voir l’Allemagne se dégonfler brusquement, comme un ballon percé d’une épingle. Elle est étonnante de résistance, mais tout a une limite et elle l’atteindra forcément. Alors ce sera terrible ! »...
– Paris 21 août. « Ne vous effrayez pas de votre timidité ; j’aime les gens timides, étant moi-même de cette espèce »...
– 29 août. « Nous croyons avoir droit au bonheur ; et nous ne faisons qu’une attention très limitée aux moments heureux, si bien que nous les oublions, alors que nous gardons le souvenir des souffrances qui nous choquent, nous semblant injustes. Alors, regardant en arrière, nous ne voyons plus qu’elles, et nous croyons qu’elles sont tout dans la vie, alors que les bons moments sont innombrables »... Remarques sur un poème d’Aguétant : « C’est de l’Hugo et du meilleur, quand il est profond sans crever le fond et rouler éperdu dans les étoiles, comme il le dit lui-même ; car le génie est voisin de la folie et hugo, hélas ! a voisiné quelquefois. [...] C’est la dernière fois que je vous donne des conseils. Rien n’est plus dangereux que d’en demander, si ce n’est d’en donner. Quand on a votre âge et votre talent, on doit savoir ce qu’on veut et ne demander conseil à personne. Je n’en ai demandé que dans ma première jeunesse et je n’ai jamais suivi ceux qu’on m’a donnés. J’aurais préféré que vous vinssiez un peu plus tôt, car je serai forcé de partir le dimanche pour Dieppe où je dois passer une semaine. Mais je me réjouis de vous emmener déjeuner chez Prunier où l’on mange des homards, des coquilles St Jacques, des choses délicieuses. [...] Pourquoi ce désespoir à l’idée de ma disparition finale ? [...] ce qui est déplorable, est de “voir les jeunes mourir”, de voir la plante fauchée avant d’avoir donné sa fleur ou son fruit. Que de savants, de penseurs, d’artistes cette horrible guerre détruit stupidement, qui auraient éclairé l’avenir ! Ce sera un recul de la civilisation [...] L’Europe est perdue pour longtemps »...
– 22 septembre, sur son séjour à La Panne chez de la Reine Élisabeth de Belgique : « c’étaient des causeries ravissantes, car la Reine est extrêmement intelligente ; elle s’intéresse à tout, est éclairée sur tout ! et avec cela une grâce, un naturel, une affabilité ! Elle est absolument délicieuse. [...] Avant le dîner, je donnais à la Reine un petit concert, sur un piano qui malheureusement est très fatigué. Nous avons même joué ensemble un adagio de Beethoven en l’honneur duquel la Reine avait remis une chanterelle à son violon, qu’elle n’avait pas touché depuis longtemps, car le plus clair de son temps se passe dans les ambulances, à visiter et réconforter les malades et les blessés »...
– 30 septembre. « En ce moment je ne pense qu’à la guerre. [...] J’ai prédit en vers que Guillaume perdrait sa couronne ; ce serait amusant si cela arrivait. Le mot prend, dans ce cas, un sens particulier. L’Allemagne est tellement insolente avec l’Espagne que celle-ci pourrait bien s’irriter sérieusement, en voyant l’autre en mauvaise passe ; car il va y avoir, n’en doutez pas, une répercussion épouvantable dans toute l’Entente et ailleurs ; défection de la Turquie, soulèvement de la Roumanie, découragement de l’Autriche et l’Allemagne sentira la terre se dérober sous ses pas. On pense à Nabuchodonosor, à Sennachérib, et même, hélas ! à notre grand Napoléon »... Il évoque Rachel et Sarah Bernhardt dans Phèdre...
– 22 octobre, faisant allusion aux critiques sur son livret d’Hélène. « La musique vaut mieux que le vers, là je sais mon métier et je crois bien que je ne l’ai jamais mieux exercé, ce qui n’empêchera pas que l’ouvrage, pour la musique comme pour les paroles, soit houspillé de la belle manière quand il reparaîtra. [...] Le retard de l’ouverture de l’Opéra remet tout en question, d’autant qu’on ne s’intéresse qu’à Goyescas. Entre nous, c’est exécrable, mais l’auteur [GRANADOS] ayant péri dans un torpillage, c’est devenu un chef-d’œuvre »...
– 25 octobre. Colère après un article d’Édouard Herriot sur César FRANCK : « César Franck est Dieu et d’Indy est son prophète. [...] César Franck n’est pas un produit du sol français ; la Belgique le revendique avec raison [...] Dire que dans cette Symphonie il a renouvelé la forme de la symphonie, c’est trop se ficher du monde ; elle ne renouvelle rien du tout ; si une symphonie pouvait prétendre à cet honneur, ce serait ma Symphonie en ut, par sa coupe inusitée, par l’emploi de l’orgue ; mais celle-ci a pris dans le monde musical une place qui empêche de dormir les dévots de la Schola »... Il est triste d’apprendre que Charles lecocq est mourant : « Il avait beaucoup d’esprit et d’intelligence [...] Nous avions été camarades au Conservatoire et nous nous aimions beaucoup. Je lui faisais croire que j’admirais ses œuvres, qui sont loin d’être sans mérite [...] Lecocq était bien doué ; mais infirme, marchant avec des béquilles, sans fortune, il a dû choisir la carrière qui lui offrait un chemin plus facile... Le genre auquel il s’est adonné supporte malheureusement la médiocrité ; il s’est déformé, et quand il a voulu plus tard écrire des choses plus sérieuses, il n’a plus trouvé sous sa plume le style nécessaire. Mais s’il ne pouvait cultiver la grande musique, il s’y intéressait beaucoup et ses jugements étaient excellents. Il était fort lettré et j’ai regretté qu’il n’ait pas voulu faire de critique musicale, car il écrivait à ravir. [...] Maintenant, c’est mon tour ! Je l’attends avec indifférence. Il faut bien finir ; pourquoi s’en affliger, puisque c’est l’inévitable ! »... Puis sur son chant patriotique, Vers la Victoire, dont il a refait en partie les vers : « Pour la musique, c’est un genre effroyablement ingrat. Il faut que l’étendue ne dépasse guère une octave ; il faut que cela puisse se chanter sans accompagnement, que ce soit facile à chanter et à retenir ; et avec toutes ces restrictions, il ne faut pas que cela ressemble trop aux choses déjà connues. Marseillaise, Chant du départ, etc. [...] quoi qu’on fasse, cela fait toujours de la bien pauvre musique. Mais il en faut ! Et c’est parce qu’il en faut, que je me suis efforcé d’en faire »...
– 5 novembre, mort de Charles lecocq : « C’était un esprit charmant ! Sans être le moins du monde un “poète” comme vous, il tournait gentiment les vers et j’ai même mis en musique un joli sonnet de sa façon »... Sur la guerre : « Et cet empereur : s’en ira ! ne s’en ira pas ! De sinistre, Guillaume commence à devenir ridicule. C’est le comble de l’humiliation. Voilà les Hongrois qui font la même bêtise que nous, en abolissant les titres de noblesse »...
– 14 novembre. « La guerre est finie. Ouf ! Mais, comme disait Gambetta, l’ère des difficultés commence... Et jamais difficultés ne furent plus difficiles. L’Europe commence une grave maladie dont on ne peut prévoir l’issue ; aussi je ne puis, comme beaucoup d’autres, me livrer à la joie, pensant à l’avenir si inquiétant et à tous les deuils, toutes les ruines qui nous entourent »...
– Alger 28 décembre : « J’ai la vue du port, de la mer, des montagnes lointaines, vue que je connais depuis longtemps mais que je retrouve avec plaisir, d’autant que je pensais ne jamais la revoir »...
•1919.
– Hammam R’ihra 26 janvier. « Le pays du soleil est bien trompeur cette année ; il ne cesse de pleuvoir et il fait froid. [...] J’écris des articles pour les Annales de Brisson. Il y a ici une bibliothèque bien garnie et je m’amuse à lire des vieilles pièces de théâtre datant de 1895. Puis de terribles parties de dominos avec mon domestique que vous ne connaissez pas, un bien gentil garçon que la guerre m’avait pris et qu’elle m’a rendu intact, en m’en faisant un ami. Il sait l’orthographe ! mais il est ignorant comme une carpe et comme il est fort intelligent je m’évertue à l’instruire »...
– Paris 3 mai. Il est souffrant et garde la chambre, « alors que j’aurais besoin de faire travailler les chanteurs qui vont interpréter Hélène à l’Opéra »...
– 17 mai. Il est toujours « dans les ventouses, dans les inhalations [...] Vous êtes donc, mon cher poëte, de ceux qui se lassent d’un beau ciel bleu ? [...] Eh bien, moi, je ne suis pas de cet acabit. Je ne m’en lasse jamais ; tandis que je suis tout de suite fatigué d’un ciel gris et de l’absence du soleil et de l’azur. [...] Il est très varié, ce bleu, suivant les climats et les saisons. Il est merveilleux à Cannes ; il est exquis en Egypte où il est clair et nullement foncé comme l’a dit Th. Gautier [...] Quand pourra-t-on la revoir, cette Egypte ? [...] C’était si charmant d’aller passer l’hiver au Caire, à Louqsor, à Assiout... Mais on n’y voyait pas le vert Nil, le Nil est jaune »...
– 26 juin. Il raconte l’histoire de sa 2e Sonate pour piano et violoncelle, dont le manuscrit avait été perdu par le violoncelliste Hollman la veille de l’audition : « N’est-ce que cela ? lui dis-je ; je vais la refaire. Cette Sonate qui comporte quatre morceaux est d’une extrême longueur. J’y passai une partie de la nuit et de la journée du lendemain, et l’exécution eut lieu. Ce fut un mal pour un bien, car la nouvelle copie, bien que faite en grande vitesse, se trouva plus belle que n’avait été la première »... Il n’ira plus jamais en Allemagne, mais il aimerait aller à Vienne « pour consulter un certain manuscrit de Beethoven »...
– 29 juin. « Hier Paris était en joie. Foule énorme sur les boulevards, sur la place de la Concorde [...] Il m’est impossible de partager la joie générale. Trop de deuils sont là, et l’avenir m’apparaît trop sombre et trop inquiétant »...
– Ostende 20 juillet, après la création de leurs deux mélodies par Paul Franz, auxquelles la « voix uissante » ne convient pas : « À ces choses délicates, il faut des voix de même nature, comme celles de Plamondon ou de David Devriès. [...] J’ai eu de très belles exécutions de mes œuvres importantes. J’ai lieu d’être complètement satisfait et je ne regrette pas d’être venu. Je me suis même bien tiré du morceau d’orgue écrit pour la circonstance. Et j’en avais un peu peur, car il n’est pas facile »...
– 25 juillet. « Le morceau composé tout exprès pour la circonstance, Cyprès et Lauriers, a très bien marché ; et ma grande composition La Lyre et la Harpe a été magistralement exécutée [...] Et comme l’auteur dirigeait lui-même, les mouvements étaient exacts »... Il évoque le défilé de la Victoire, qu’il a pu voir avant de quitter Paris...
– 1er août. Amusant poème monosyllabique : « Viens ! / Chien ! / Patte »...
– Paris 15 septembre. Sur sa 3e Sonate pour violoncelle : « J’ai donc travaillé pour les violoncellistes qui m’enverront des bénédictions, car ils se plaignent toujours de manquer de nouveautés pour leur instrument. C’est qu’il n’est pas du tout facile d’écrire pour lui quand on n’en joue pas soi-même, et il paraît que je me tire bien de cette difficulté ». Il évoque l’écriture à Chaville en 1887, en pleine canicule, de Proserpine, « une œuvre que j’aime beaucoup et qui depuis sa naissance a toujours été accompagnée d’une “guigne” persistante »... Grand chagrin de la mort de Georges clairin, « un de mes plus anciens et de mes meilleurs amis »...
•1920.
– Alger 3 janvier (lettre avec lettrines coloriées). « Votre petit poème [La Paix] est ravissant, c’est tout naturel, mais ce n’est pas l’Hymne à la Paix destinée à être chantée ; c’est trop littéraire pour être musical. Cela ne veut pas dire que les vers de votre façon que j’ai mis en musique n’étaient pas littéraires ; c’est assez difficile à expliquer. Quand les idées sont trop pressées dans les vers, la musique ne peut plus s’y adapter : elle n’a pas le temps. Il ne peut plus y convenir qu’une musique passe-partout, comme dans les complaintes, qui n’exprime rien du tout ». Il a pu terminer avant de partir l’Hymne à la Paix : « Restait à écrire l’orchestration en vue des exécutions en grand gala, [...] je l’ai faite ici, cela m’a occupé la première semaine de mon séjour à l’Hôtel de l’Oasis. J’ai vue sur le port, la mer, les montagnes, je vois lever le soleil, je me régale des énormes crevettes que l’on trouve ici, et du poisson frais, mon alimentation préférée. Je n’ai plus ni bronchite ni catarrhe et tout serait pour le mieux si mes jambes étaient plus alertes, mais elles ne le sont guères. Enfin, contentons-nous de ce qui nous reste ! [...] Vos vers chantent une année de joie et de délices; je crains bien qu’en fait 1920 soit plus difficile à passer... Nos provinces dévastées, à un point dont on ne peut se faire une idée quand on ne les a pas vues, la danse des millions, le renchérissement général, la montée croissante du socialisme, les grèves perpétuelles... L’avenir m’apparaît comme un gigantesque [point d’interrogation dessiné] »...
– 26 mars. Concert avec M. Llorca : « Nous avons joué à 2 pianos, et j’ai joué avec acct d’instruments à cordes une Valse-caprice Wedding Cake, ainsi nommée parce qu’elle fut mon présent de noces à mon excellente amie Caroline Montigny quand elle a épousé M. de Serres, belle-sœur d’Ambroise Thomas et pianiste de premier ordre »...
– Paris 30 juin, après son voyage en Grèce : « Je l’ai fait trop tard ; mais comme dit le proverbe,
mieux vaut tard que jamais. J’y suis allé invité par le directeur du Conservatoire ; j’y ai été fêté comme je ne l’avais été nulle part ailleurs. [...] J’y ai trouvé un orchestre excellent, jouant mes œuvres dans la perfection. J’ai visité les Musées [...] j’y ai vu les merveilles que l’Antiquité nous a laissées, et qui seraient encore intactes si l’on ne s’était acharné à les détruire ; j’ai vu le roi, j’ai causé avec Vénizélos ; j’ai dirigé l’orchestre dans le théâtre d’Hérode Atticus, au pied de l’Acropole ; enfin je suis monté sur l’Acropole lui-même, ce qui m’a donné une rechute de paralysie dans les jambes »...
– 20 août. « Hélas oui ! l’horizon politique est sombre mais je ne crois pas qu’il y ait des craintes au sujet de la possession de l’Alsace. Mais est-elle si française ? Pour moi, elle n’est ni française ni allemande, et son cœur est partagé entre les deux ; son cœur, non, mais son esprit. [...] Oui, l’Alsace aimait autrefois l’Allemagne, mais elle n’aimait pas du tout la Prusse, et l’Allemagne est devenue prussienne, ce qui a dû modifier les sentiments de l’Alsace »...
•1921.
Alger 25 mars, en recevant Le Divin Roman d’amour d’Aguétant : « C’est délicieux, c’est délicat, c’est original, c’est exquis... Mais que voulez-vous c’est si loin, la jeunesse et l’amour ! cela ne me passionne plus »...
– Paris 22 avril. « Aujourd’hui je devrais faire ma rentrée à l’Institut ; ce sera pour samedi prochain, mes confrères immortels attendront bien jusque-là. Les pauvres immortels ! plusieurs ont disparu pendant mon absence, et de ceux justement que j’aimais à rencontrer là, Luc-Olivier Merson, Jean-Paul Laurens », et le Rouennais Gaston Le Breton, qui l’avait régalé « d’un canard à la Rouennaise préparé par lui-même comme je n’en ai jamais mangé, ni avant, ni depuis ! [...] On a beau ne pas être gourmand, les bonnes choses sont toujours bonnes, en cuisine comme en tout. Mais quant à trouver bonnes les choses qui ne le sont pas et qu’on veut vous faire avaler de force, comme partout à présent, non ! mille fois non ! On ne me fera jamais prendre pour de grands poëtes, de grands peintres, de grands musiciens, les farceurs qu’on nous donne comme des génies ; on ne me fera jamais admirer La Mer de DEBUSSY et les Nymphéas de monet »...
– 25 juillet. « Samedi 30, je pars pour Dieppe, où je passerai la première semaine d’Août. J’y jouerai même du piano pour la dernière fois de ma vie, clôturant ainsi une carrière de pianiste qui aura duré 75 ans ! »...
– 26 juillet, sur la religion : « Plus je vais, plus je m’étonne que des hommes faisant usage de leur raison puisse croire à une religion quelconque. Dieu est une hypothèse pour chercher à expliquer la Nature à laquelle nous ne comprenons rien. [...] pardonnez-moi mon manque de foi. J’en ai eu dans ma jeunesse ; je m’en suis guéri non sans
peine : ce fut une crise terrible, et quand j’en suis sorti, il m’a semblé que je sortais des ténèbres pour entrer dans la lumière, du trouble pour entrer dans la paix. J’ai dit adieu à toutes les fables et ne croient plus que la Vérité, celle du moins ou nous pouvons atteindre »...
– 12 août. C’est avec joie qu’il a abandonné « ce métier de virtuose. Si on a l’abominable trac, c’est un supplice ; si on ne l’a pas, c’est amusant, à la condition qu’on soit bien disposé et qu’on ait un bon instrument ; avec le piano, on ne sait jamais. Mais quelle ennuyeuse préparation ! obligations de travailler tous les jours pour entretenir ses doigts, de ne pas déjeuner si le concert est dans le jour, de ne pas dîner s’il a lieu le soir ; et souvent on est mal à l’aise pendant tout le temps qui le précède... Et l’humiliation de se sentir le jouet du public, de venir le saluer... Si j’ai fait ce métier, c’est qu’il m’a permis de gagner ma vie autrement qu’en m’abrutissant à donner des leçons toute la journée. Enfin, ce dernier concert a été très brillant, je ne finirai pas, comme beaucoup d’autres, par un descrescendo lamentable »...
─ On joint
-Les manuscrits autographes de Pierre AGUÉTANT pour son livre Saint-Saëns par lui-même représentant une quarantaine de pages in-fol. abondamment corrigées avec les extraits de lettres collées, soit 9 chapitres publiés (la plupart accompagnés de leur dactylographie, plus les tapuscrits de quelques chapitres dont le manuscrit n’a pas été conservé), et 3 restés inédits : « Travaux et dates » (5 p.), « Saint-Saëns critique » (tapuscrit seul), et « Saint-Saëns et la religion » (7 p.).
- Plus 7 L.A.S. de la cousine et légataire du compositeur, Valentine nussy saint-saëns ;
- 6 L.A.S. de Jean bonnerot, secrétaire et exécuteur testamentaire de Saint-Saëns ;
- une photographie de la chienne Dalila, et des coupures de presse.
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