Lot n° 6

CÉLINE (Louis-Ferdinand) — Lettre autographe signée « LD » à son amie Évelyne Pollet.

Estimation : 2000 - 3000 €
Adjudication : Invendu
Description
Paris, [juillet 1933]. 2 pp. in-folio, en-tête imprimé à son adresse du « 98 rue Lepic ».
« Chère Évelyne, je vous enverrai d'autres livres à la fin de ceux-ci. Prenez-y ce qui convient à votre tempérament. Vous avez raison en toutes choses, si vous sentez ainsi. IL N'Y A GUERE DANS CE MONDE QUE DES PASSIONS DE CONVAINCRE. IL FAUT CHOISIR SA MUSIQUE ET C'EST TOUT.
Allendy est un très faible psychanalyste mais les travaux de Freud sont réellement très importants, pour autant que l'Humain soit important. VOUS VIVEZ, JE LE VOIS, AVEC VOS REVES. AU FOND, VOICI LE VERITABLE TRAVAIL DES HOMMES (ET DES DAMES !). JE VAIS ME LIVRER DANS LES ANNEES QUI VONT VENIR A LEUR EXPLORATION... » Le médecin psychanalyste René Allendy, membre fondateur de la Société de psychanalyse, eut parmi ses patients des personnalités comme Antonin Artaud ou Anaïs Nin, dont il devint l'amant. Céline avait envoyé en juin 1933 l'ouvrage de René Allendy La Psychanalyse à Évelyne Pollet.

FREUDISME DE CÉLINE. Il avait fait l'expérience de la psychiatrie durant la Première Guerre mondiale, et s'initia très probablement au freudisme auprès de ses collègues germanophones de la section d'Hygiène de la S.D.N. où il fut employé de 1924 à 1927 et en 1931. Par l'intermédiaire d'une amie juive autrichienne rencontrée en septembre 1932, Cillie Ambor, il obtint des traductions françaises de plusieurs œuvres de Freud et put rencontrer les psychanalystes Annie Angel et surtout Annie Pink, première femme du célèbre Wilhelm Reich. Acquis aux théories freudiennes, il envisageait alors comme médecin la maladie sous un angle nouveau, celui d'une autopunition où les malades se complaisent, et nourrissait son pessimisme d'une mise en cause du subconscient des malades. Sur un plan plus large, il associait psychanalyse et mise en évidence de la pulsion de mort. Dans Voyage au bout de la nuit, il fait dire à Bardamu : « Je savais moi, ce qu'ils cherchaient, ce qu'ils cachaient avec leurs airs de rien les gens. C'est tuer et se tuer qu'ils voulaient, pas d'un seul coup bien sûr, mais petit à petit comme Robinson avec tout ce qu'ils trouvaient, des vieux chagrins, des nouvelles misères, des haines encore sans nom quand ça n'est pas la guerre toute crue et que ça se passe alors plus vite encore que d'habitude ». Henri Godard souligne que « cette intuition, ainsi liée à la remise en question par Freud des certitudes antérieures, est sans doute ce qui donne au Voyage au bout de la nuit son accent le plus profond, celui que l'on continue à entendre une fois le livre refermé » (dans Céline, Romans, vol. I, p. 1140). À partir de 1933, Céline élargit son intérêt pour le freudisme à la question des rêves comme moyen de mettre en évidence une autre dimension de l'homme. « L'intérêt de Céline pour Freud est plus fort que jamais pendant cette période de la rédaction de Mort à crédit ; les témoignages convergent pour montrer que c'est celle où il est le plus averti de la pensée freudienne et le plus consciemment déterminé à en tirer des conséquences dans l'exercice de l'imagination romanesque et dans l'écriture » (Henri Godard, ibid., p. 1389).
CELINE AVAIT COMPRIS LE RENOUVELLEMENT LITTERAIRE FONDAMENTAL QUE LES IDÉES DE FREUD PERMETTAIENT D'APPORTER AU MODELE DU ROMAN BALZACIEN, mais il cédait aussi à une mode qui pouvait lui assurer des lecteurs. « À l'époque de Voyage au bout de la nuit et de Mort à crédit, non seulement il se réclamait de [Freud], mais encore il revendiquait d'avoir fait passer dans la littérature quelque chose de l'enseignement de l'""énorme école freudienne"" » (Henri Godard, ibid., p.1140). C'est ce qui lui permit de dire plus tard que Voyage au bout de la nuit, était de tous ses livres celui qu'il voulait le plus supprimer, le seul « vraiment méchant », celui qui touche le « fonds sensible ». Si l'influence freudienne imprègne encore fortement l'écriture de Mort à crédit, Céline s'en détacha nettement par la suite.

FEMME DE LETTRES ANVERSOISE ET PROBABLEMENT AMANTE DE CELINE, ÉVELYNE POLLET lui écrivit une lettre admirative en janvier 1933 à la suite de la lecture de Voyage au bout de la nuit, et entama une longue relation avec lui – Céline alla la voir dix fois entre mai 1933 et 1941. Elle serait devenue sa maîtresse, et lui demanda plusieurs fois d'intercéder auprès de Robert Denoël pour qu'il publie des manuscrits d'elle. Leurs relations se seraient détériorées en 1938-1939, et elle lui aurait fait une crise de jalousie hystérique devant Lucette Almanzor (future épouse de Céline). En septembre 1942, dans un recueil intitulé Un Homme bien... parmi d'autres personnages, Évelyne Pollet publia « Le voleur », une nouvelle qui mettait en scène Céline sous le nom de Carbier, puis, en 1943, elle écrivit un roman qui transposait leur relation, d'abord intitulé Rencontres et publié sous le titre Escaliers, en 1956 à Bruxelles.

Lettres, n° 33-81.
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