Description
Paris, Les Éditions Denoël, 1944. In-16, 348 [dont les 2 premières blanches]-(4 dont les 3 dernières blanches) pp., demi-maroquin à coins marron, dos à nerfs, couvertures et dos conservés, tête dorée. ÉDITION ORIGINALE, UN DES 60 EXEMPLAIRES NUMEROTES SUR VELIN D'ARCHES, avec le frontispice dépliant hors texte que seuls possèdent les exemplaires sur grand papier : vue photographique de la proue d'un navire à quai (Jean-Pierre Dauphin et Pascal Fouché, 44A1).
ENVOI AUTOGRAPHE SIGNE : « À Paul et Pascaline Marteau. Bien affectueusement. LFCéline ».
MECENE ET SOUTIEN DE CELINE, PAUL MARTEAU (1885-1966) était le propriétaire des usines de cartes à jouer Grimaud. Féru d'ésotérisme (il relança la vente du tarot de Marseille), gastronome, bibliophile et amateur de peinture, il se lia notamment avec Gaston Gallimard, Gen Paul ou encore Jean-Gabriel Daragnès. C'est par l'intermédiaire de ce dernier qu'il acheta en 1948 le brouillon manuscrit d'une partie de Féerie pour une autre fois, à Céline qui manquait cruellement d'argent. Il fit dès lors partie du petit groupe des soutiens de l'écrivain en France, lui suggéra le nom de Jean-Louis Tixier-Vignancour comme second défenseur dans son procès, et alla jusqu'à l'accueillir dans son hôtel particulier de Neuilly, du 20 juillet au 1er octobre 1951. Céline, qui venait de rentrer en France et avait quitté sur une brouille sa belle-famille à Menton, put recevoir à Neuilly quelques-uns de ses amis proches demeurés fidèles, comme Antonio Zuloaga, y signer en août un contrat avec Gaston Gallimard, et avoir la jouissance d'une voiture avec chauffeur pour se mettre en quête d'une maison en banlieue parisienne (qu'il trouva à Meudon). Le séjour chez Paul Marteau fut très agréable à Céline qui garda toujours une profonde reconnaissance à son hôte.
GUIGNOL'S BAND, LE ROMAN QUE CELINE A LE PLUS LONGUEMENT PORTE EN LUI AVANT DE L'ECRIRE. Il avait envisagé dès 1931 d'écrire les aventures à Londres de son personnage Ferdinand, et pensé en faire un interlude divertissant dans Voyage au bout de la nuit, mais la tonalité sombre que prit le roman en cours d'écriture le détourna de cette idée. Il imagina ensuite, en 1934, intégrer un épisode londonien dans le récit de Mort à crédit, puis, la même année, élargit encore son projet pour prévoir un volume entier consacré à Londres comme dernier volet d'une trilogie romanesque comprenant Mort à crédit et Casse-pipe. La rédaction de ce volet, d'abord intitulé Honny soit puis probablement English bar, occupa Céline presque cinq ans, de 1940 à 1945, par périodes intermittentes mais intenses d'écritures et de réécritures. La tournure que prit la situation politique et militaire l'amena à prendre la décision de publier en mars 1944 une première partie de Guignol's band, ainsi qu'il l'explique dans sa préface : « il a fallu imprimer vite because les circonstances si graves qu'on ne sait ni qui vit qui meurt ! » Céline poursuivit son travail d'écriture jusqu'au début de son séjour au Danemark en 1945, mais ce Guignol's band II parut de manière posthume en 1964 sous le titre Le Pont de Londres. Quand à une troisième partie, dont le plan fut esquissé en 1946, elle ne dépassa jamais le stade de projet.
UNE NOUVELLE AVANCEE DANS SES RECHERCHES STYLISTIQUES. Céline s'attacha dans Guignol's band à perfectionner cette langue orale recomposée qui forme le tissu stylistique de tous ses romans et qui atteindrait son point de perfection dans les romans de la trilogie germanique.
LE LIVRE DE LONDRES. Céline connaissait bien cette ville pour y avoir séjourné de mai 1915 à mai 1916, et « jamais [il] ne s'est abandonné au plaisir d'évoquer un lieu qu'il aimait autant qu'il le fait pour Londres dans Guignol's band » (Henri Godard, dans Céline, Romans, vol. III, p. xvi). Le brouillard de Londres, son fleuve, le mouvement des bateaux sur ce fleuve et de leur accostage à quai, sont autant de de prédilections de la sensibilité célinienne. Guignol's band est aussi une peinture des milieux interlopes français londoniens, pour laquelle il s'appuie largement sur ses souvenirs personnels des fortes personnalités rencontrées en 1915-1916, comme Joseph Garcin. Cette peinture se nourrit également de rencontres ultérieures comme celle de Jean Cive, qui lui présenta « Max le Rouquin », et trouve des matériaux dans la correspondance échangées avec son traducteur anglais John Marks, ou encore dans d'ultimes voyages effectués à Londres dans les années 1930. Cependant, Céline subordonna les données de l'expérience aux nécessités de la fiction narrative, et s'autorisa une grande liberté de transposition, aussi bien dans la topographie londonienne, que dans les péripéties relatées : « Céline n'a jamais été aussi loin dans son désir de faire pencher le roman du côté du fantastique ou du délire » et même « il n'a jamais été aussi près d'une invention purement romanesque » (Henri Godard, ibid., p. xii et p. 938).
PEUT-ETRE LE SEUL ROMAN HEUREUX DE CELINE. Guignol's band I rayonne tout entier de l'euphorie que l'écrivain avait ressentie à Londres en 1915 d'avoir pu échapper à l'horreur de la guerre, de s'être éloigné de l'autorité de ses parents, d'avoir pu découvrir dans les milieux interlopes qu'il fréquenta alors des hommes respectant des valeurs en-dehors de la morale bourgeoise, et d'avoir connu une idylle avec une jeune femme qu'il épousa. Même si les échos de la guerre, par une série de rappels, se font entendre d'une manière particulièrement tragique, et même si la marche à la catastrophe habituelle dans ses œuvres s'enclencherait dans Guignol's band II pour faire de Londres un paradis perdu, « on est là aux antipodes non seulement des passages furieux des pamphlets mais aussi de la majeure partie des autres romans. Dans cette première partie de Guignol's band, Céline est tout entier, durablement, du côté du pôle positif de sa sensibilité au monde » (Henri Godard, Céline, pp. 335-336).