Lot n° 41

CÉLINE (Louis-Ferdinand) — Lettre autographe signée en tête « Destouches » et à la fin « LF », [adressée à Robert Le Vigan].

Estimation : 800 - 1000 €
Adjudication : 1 375 €
Description
Klarskovgaard à Korsør au Danemark, « le 5 » [sans doute le 5 septembre 1950]. 1 p. 3/4 in-folio, avec mention « urgence » au crayon rouge.
« MON VIEUX, TOUS MES MITEUX ESPOIRS CROULENT ! La chancellerie Mayer avait d'après Naud (très menteur) accepté l'équivalence des 18 mois de tôle ici avec mon année de condamnation [il désigne ici son avocat Albert Naud et le garde des Sceaux René Mayer] MAIS seul le président de la Cour de justice peut lever le mandant d'arrêt, or ce dernier [Jean Drappier] refuse de le lever. Il faut d'abord que je rentre en France accepter ma condamnation. En bref, piège, c'est tout. J'espérais foutre le camp d'ici avec un passeport français, au diable ! mais c'est impossible, à présent. Je suis coincé. Comment faire ! Obtenir un passeport danois pour étranger ? Je demande à Mikkelsen [son avocat danois Thorvald Mikkelsen] de tâter le ministère – mais c'est UN SATANE CHINOIS BANDIT, MIKKELSEN, TARTUFE DEGUEULASSE et qui n'a pas beaucoup de crédit en haut lieu (3 faillites ! et véreux encore !) et puis le haut lieu tu penses ! est tout youtre ! et puis l'ambassadeur ici, CHARBONNIERE, HYSTERIQUE EPILEPTIQUE, QUI ME PERSECUTE DEPUIS 6 ANS, EST LOPE ET AMANT DE BIDAULT ! OUAIS OUAIS... [Allusion à l'ambassadeur de France au Danemark, Guy de Girard de Charbonnières, et à Georges Bidault, qui fut président du Conseil d'octobre 1949 à juillet 1950] ET LE MINISTRE DES AFF[AIRES] ETRANG[ERES] ICI EST LOPE ITOU ! PIGE LE MARECAGE ! [parenthèse soulignée au crayon rouge :] (Ne dis rien de ceci à âme qui vive ! ni dans tes lettres). Tu vois la situation ? architoqué, cul-de-sac.

QUE PEUX-TU FAIRE D'ARGENTINE POUR MOI ? PEUX-TU ME FAIRE ETABLIR UN LAISSEZ-PASSER ARGENTIN ? C'est bien romanesque ! Le voyage on peut se le payer, c'est vivre là-bas qui sera ardu, mais d'abord s'y rendre ! et être accueilli. Je veux bien pratiquer la médecine n'importe où, de nuit ou de jour, même en qualité d'infirmier-masseur, m'en fous.
PEUT-ON AMENER BEBERT [son chat, qu'il évoque dans les romans de sa trilogie germanique] Les derniers restés ici ! Mikkelsen aura tout croqué, bien entendu ! Il y a les petits revenus de mes livres en France, en clandestin. Ça se vend mais c'est mince et précaire.
SI ON ME LAISSAIT FINIR FEERIE ÇA SE VENDRAIT, C'EST SUR [son roman Féerie pour une autre fois] mais le loisir là-bas ? la croque ? et le toit ? et tu sais un boulot de mon genre c'est des années. VOILA DEJA 4 ANS QUE JE SUIS DESSUS. C'EST DU STYLE. C'EST DU MOT CROISE, DU CALEMBOUR ET DU VERS BLANC – C'EST DE L'ENORME TAPIN, tu le sais. Alors vivre comment en attendant ? Je suis crevé quand je travaille, tu le sais. Je vis d'aspirine et de véronal – c'est de la haute tension nerveuse – comme la scène en somme, à 57 piges et des horions passés – c'est de la clownerie atroce...

ENFIN, J'AI TOUCHE UN PEU CES TEMPS-CI EN CLANDESTIN PAR LA VENTE EN FRANCE DE M[ORT] A CREDIT ET DE CASSE-PIPE (UN BOUT), ça permetterait le voyage Am[érique du] Sud. Il faudrait que je trouve un rafiot direct Copenhague Argentine. Ça se trouve, c'est pas le compliqué ! C'est tout le reste ! [...] »

Sur Robert Le Vigan, voir ci-dessus le n° 35.
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