Lot n° 18
Sélection Bibliorare

LIVRE D’HEURES À L’USAGE DE TROYES(?) — Manuscrit en latin, avec des ajouts postérieurs en Catalan, manuscrit enluminé sur parchemin, d’origine française, peut-être en Champagne, à Troyes, v. 1260-1270, 9 initiales historiées d’un...

Estimation : 80 000 - 120 000 €
Adjudication : 169 000 €
Description
artiste inconnu (unicum stylistique ?)
[1] + 118 ff. ; quaternions ; il manque un feuillet du calendrier et 2 feuillets probablement vierges (classement : i6 [sur 8, iii manquant (feuillet retiré), ainsi que vi; i est la garde collée], ii-xi8, xii4, xiii-xv8, xvi7 [sur 8, il manque vii, probablement vierge ; viii garde collée]) ; sur parchemin, 125 x 95 mm (85 x 57 mm) ; 12 longues lignes ; encres noire, rouge et bleue ; réglures à la mine de plomb; textualis formata (exemple relativement précoce qui présente encore des éléments de praegothica), antiennes en textualis libraria de plus petite taille ; grande initiale historiée à antennes haute de 5 lignes introduisant les Matines des Heures de la Vierge et 8 initiales historiées à antennes hautes de 4 lignes pour le reste des heures de la Vierge et le Psaume 6, le premier Psaume des Pénitents – Initiales champies sur deux lignes pour les hymnes, psaumes, leçons, chapitres, cantiques, et Kyrie eleison de la Litanie – Initiales rouge et bleues filigranées – Nombreux bouts de lignes à l’encre rouge et bleue avec plusieurs motifs ornementals ; petits manques marginaux de parchemin sur trois feuillets sans atteinte au texte.

Reliure en plein maroquin de style mudéjar (XIVe-XVe s.), plats sur aies de bois estampés à froid ornés de motifs d’entrelacs de cordes, fermoir manquant, petits trous de vers sur les plats, très légers frottements sur les coins, gardes de parchemin avec notes manuscrites postérieures atteintes d’un travail de vers.

Ce manuscrit compte parmi les plus anciens livres d’heures conservés de facture française ; sa taille et sa mise-en-page le rapproche des célèbres Heures de Brailes (Londres, BL, Add. MS 49999) qui sont considérées comme les plus anciennes Heures d’origine anglaise.

INTRO
Le XIIIe siècle voit l’apparition d’un nouveau livre liturgique, le livre d’heures, qui remplaça progressivement le psautier ou les heures-psautier comme livre de dévotion auprès des laïcs, en accord avec les édits du quatrième concile de Latran en 1215 qui imposait aux fidèles une confession à minima annuelle. Le livre d’heures était alors un nouveau support visuel et textuel pour l’exercice personnel et quotidien de la piété des laïcs. À ce jour, seulement 70 livres d’heures ou psautier-livre d’heures, dont l’origine française est reconnue, sont antérieurs au XIVe siècle. C’est pourquoi toute découverte d’un nouveau témoin est cruciale pour étendre notre compréhension de la genèse des livres d’heures (leurs usages liturgiques, commanditaires et conditions de production).

TEXTE
Copié en latin, avec des ajouts postérieurs en Catalan ; probablement à l’usage liturgique de Troyes, avec des variantes proches de l’usage de Sens.

De composition simple, ce livre d’heures contient un calendrier, les heures de la Vierge, les psaumes pénitentiels, les litanies suivies des pétitions et collectes (mais sans les heures de la croix, du Saint Esprit, l’office des morts ou de prière).

L’usage liturgique des Heures de la Vierge reste indéterminable mais l’usage se rapproche de celui de Troyes ou de Sens (les petites heures et complies suivent l’usage de Troyes). Le contenu du calendrier suggère une origine champenoise ou bourguignonne. Les litanies terminent sur Romain de Beauvais, disciple de Lucien de Beauvais, tous deux inclus dans les litanies et également dans le calendrier pour Lucien (l.8).
− f. 1v-12 : Calendrier, encre rouge et noire (un feuillet manquant: seconde moitié de février et première moitié de mars). Plusieurs ajouts postérieurs de trois mains différentes (cursives entre le XIVe et le XVe s.). La succession des saints se rapproche de l’usage de Bourges avec quelques variantes (l’étude des différents ajouts seraient intéressante pour étudier les provenances).
− f. 13-88v : Heures de la Vierge, à l’usage de Troyes ou Sens (?) - Matines (f.13-29) ; Laudes (f.29v-46v) ; Prime (f.46v-54v) ; Tierce (f.55-60) ; Sexte (f.60-65) ; None (f.65-70v) ; Vêpres (f.70v-80v) ; Complies (f.80v-88v).
− f.89r-110: Psaumes pénitentiels.
− f.110-117r: Litanies et pétitions.
− f.117v-118v : Collectes.

ICONOGRAPHIE
Liste des 9 initiales historiées à antennes :
− f. 13, Grande initiale D, Vierge à l’enfant
− f. 29v, Initiale D, Annonciation
− f. 46v, Initiale D, Visitation
− f. 55, Initiale D, Nativité
− f. 60, Initiale D, Fuite en Égypte
− f. 65, Initiale D, Adoration des Mages (habituellement placée à Sexte, ici au début de None, surement due à la rubrique)
− f. 70v, Initiale D, Présentation au Temple
− f. 80v, Initiale D, Flagellation
− f. 89, Initiale D, David en majesté.

Ces initiales historiées ne semblent être rattachées à aucun style connu de l’époque. Les personnages qu’elles contiennent sont caractérisés par des figures aux traits simples et ronds, des à-plats de couleurs (doré, bleu, marron, vert et ocre) avec des contours noirs francs. Les joues rougies et les petits sourires donnent une impression d’ingénuité à l’ensemble.

Ces initiales historiées scandent les grandes divisions des heures canoniales, avec des scènes extraites du cycle christologique. Peintes vers la fin du règne de Saint Louis ou sous celui de Philippe III le Hardi (1270-1285), le style des initiales annonce le mouvement de renouveau perceptible dans l’enluminure sous le règne de Philippe le Bel (1285-1314). Les initiales historiées reprennent des scènes extraites du cycle de l’enfance du Christ, constituant un des exemples les plus précoces de ce parti-pris iconographique.
En dehors des initiales composant l’ensemble, un décor en marge inférieure parcourant tout l’ouvrage est particulièrement intéressant : une diagonale filigranée proche du style des antennes à bande d’i. Ce décor est comparable à deux manuscrits, un manuscrit conservé à Baltimore Walters MS 40, Walters MS 97 and les Heures de Marie conservé à
New York au Metropolitan Museum of Art, MS L. 1990.38. Ce style est assez courant dans les manuscrits produits à Paris et en région parisienne entre 1220 et 1270 (Bennett, 1996, note 28: « Penwork sprays, diagonal or horizontal, in lower margins warrant further investigation »).

PROVENANCE
Le genre du destinataire n’est pas défini à l’exception d’une prière « Sacerdotes tui indiduantur iusticiam » contenue également dans deux heures-psautiers destinées probablement à l’usage d’une communauté de béguines du Brabant et dans le livre d’heures d’une abbesse (Paris, BnF, ms. N.A.L. 560, f. 148v. « Sacerdotes tui induantur iusticiam. Et sancti tui exultent » (Ps. 131 :9) : Voir Leroquais, 1927, II, p.256-258, n°283).

Le format portatif du volume et la simplicité des enluminures font penser à un destinataire laïc qui en avait probablement un utilisation quotidienne.

L’un de ses premiers possesseurs fut un marchand de drap catalan, un inventaire est dressé sur les feuillets de gardes : « Drap [d]arras – xlvi al Pelos darras – xl al Drap engles... ».
Parmi les lieux d’origine des draps, on cite l’Angleterre, Arras, Ypres, Gand, Lille, Douai, Cambrai, Valenciennes, St. Quentin, Bonneville, St. Omer, Beauvais, Provins, Saintes, Venice, Trieste, Reims.
On y trouve aussi la liste en langue catalane des grandes foires de textile, dites « foires de Champagne ».

BIBLIOGRAPHIE
- Abu-Lughod, J.L. Before European Hegemony: The World System A.D. 1250-1350, New York and Oxford, 1989.
- Bennett, A. “A Thirteenth-Century French Book of Hours for Marie,” Journal of the Walters Art Gallery [Essays in Honor of Lilian M. C. Randall] 54 (1996), pp. 21- 37, cite ce manuscrit p. 28 et note 72.
- Bennett, A. “The Transformation of the Gothic Psalter in Thirteenth-Century France,” dans The Illuminated Psalter: Studies in the Content, Purpose and Placement of its Images, ed. F. O. Büttner, Turnhout, Brepols, 2004, pp. 211-221, cite ce manuscrit p. 220, note 48.
- Clanchy, M. From Memory to Written Record : England 1066-1307, Oxford
and Cambridge, 1993.
- Donovan, C. “The Mise-en-Page of Early Books of Hours in England,” dans Medieval Book Production : Assessing the Evidence, ed. L.L. Brownrigg, Los Altos Hills, 1990, pp. 147-161.
- Holweck, F.G. Calendarium liturgicum festorum Dei et Dei Matris Mariae, collectum
et memoriis historicis..., Philadelphia, 1925.
- Leroquais, V. Les livres d’heures manuscrits de la Bibliothèque nationale, 3 vols., Mâcon, 1927.
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