Lot n° 136

EINSTEIN Albert (1879-1955) — 65 L.A.S. et 11 L.S. «A. Einstein », «Albert », « Papa » ou «Vater », 1914-1952, à sa femme et ses fils ; environ 90 pages formats divers, dont 24 cartes postales, quelques enveloppes et adresses ; plus...

Estimation : 80 000 - 100 000 €
Adjudication : 208 000 €
Description
quelques pièces jointes ; en allemand.
Les lettres sont adressées à son épouse Mileva Einstein-Marić (1875-1948), dont Einstein se sépare en 1914, et dont il divorce en 1919 ; lors de leur séparation, Mileva reste à Zurich avec leurs deux fils Hans Albert (1904-1973), surnommé Adn, qui deviendra ingénieur, et Eduard dit Tete ou Tetel (1910-1965), qui commencera des études de médecine, mais, schizophrène, sera interné et soigné dans une clinique psychiatrique.

La correspondance, couvrant plusieurs décennies, commence à Berlin, où Einstein vient de s’installer, alors que Mileva est repartie à Zurich avec les garçons, et se termine à Princeton au début des années 1950. Ces lettres concernent principalement la séparation et la douloureuse fin de son mariage avec Mileva, la sécurité financière de sa femme et de ses enfants après le divorce, son travail scientifique, l’investissement des fonds issus du Prix Nobel, le mariage et l’avenir professionnel de son fils Hans Albert, émigré aux États-Unis avec sa famille en 1938, et la santé d’Eduard…. Nous ne pouvons ici qu’en donner un aperçu, avec de trop brèves citations.

▬ 1914. – Dahlem [10.IX], à «Albert Einstein junior ». Il emballe tout pour le déménagement, et l’embrasse avec Tete.
– [Berlin] 15 septembre, à Mileva. Il ne comprend pas qu’elle se plaigne du manque d’argent, et récapitule tout ce qu’il lui a envoyé, et ce qu’elle a dû retirer sur le livret d’épargne à la Banque cantonale. De plus, il a payé le déménagement, et n’a gardé que très peu pour lui : le canapé bleu, la table de ferme, deux lits (de la maison de sa mère), le bureau, la petite commode de la maison des grands-parents, et malheureusement aussi la lampe électrique, ne sachant pas que Mileva y était attachée. Sinon, il n’a rien gardé d’important. Les meubles ne peuvent pas encore partir car le train n’accepte rien vers la Suisse. Mais dès que ce sera possible, il fera tout livrer gratuitement. Il aurait envoyé plus d’argent, mais il n’a plus rien lui-même, après l’argent envoyé, le déménagement, l’opération de sa mère,etc. Le 1er octobre, quand il aura son salaire, il enverra 400 francs immédiatement, et la même somme au début de chaque mois. Il pourrait peut-être en envoyer plus, mais pense qu’il vaut mieux économiser le plus possible. Lui-même vit très simplement, presque mal. De cette façon, ils pourront économiser un peu pour les enfants. Il s’irrite à la menace de Mileva de demander l’aide d’autres personnes ; il sait très bien d’ailleurs, de par la conduite passée de Mileva, ce qu’il peut en attendre. Rien ne l’étonnera, quoi qu’elle fasse. Elle lui a enlevé les enfants et empoisonné leur attitude envers leur père. Elle essaiera aussi de détourner de lui d’autres personnes et des proches, et tâchera par tous les moyens d’empoisonner ce qui lui reste de joie de vivre. Ce n’est qu’une punition pour sa faiblesse, qui l’a fait enchaîner sa vie à Mileva… « Deine Drohung, “den Beistand anderer Leute zu suchen” habe ich gebührend notiert; ich weiss sehr wohl ohnedies, aus Deinem früheren Verhalten, was ich von Dir zu erwarten habe. Es wird mich nichts überraschen, was Du auch thun magst. Meine Kinder hast Du mir weg genommen und sorgst dafür, dass ihre Gesinnung dem Vater gegenüber vergiftet wird. Auch andere Menschen, die mir nahe stehen, wirst Du mir nehmen, mich überhaupt in jeder Weise das zu vergiften suchen, was mir an Lebensfreude übrig geblieben ist. Dies die gerechte Strafe für meine Schwäche, die mich mein Leben an das Deine ketten liess »…
▬ 1915,
– Berlin. [1er mars], à Mileva. Il a donné ordre à la Banque cantonale de transférer les obligations et le compte d’épargne au nom de Mileva, ainsi que les papiers de Prague. Il la remercie pour les photos des chers enfants, qui l’ont rendu extrêmement heureux (« Die Bilder der lieben Kinder haben mich ausserordentlich gefreut. Ich danke Dir dafür »). Il envoie les rideaux…
– [15 novembre], à son cher Albert. Comme le prof. Heinrich ZANGGER a dû l’en avertir, Einstein veut venir en Suisse vers le Nouvel An pour passer quelques jours avec son fils. Ils pourraient aller voir Michele BESSO. Ce serait peut-être mieux s’ils étaient tous deux seuls quelque part : «Vielleicht wäre es besser, wenn wir irgendwo allein wären. Was meinst Du? »…
– [15 novembre], à Mileva. Sa lettre l’a réjoui, car il voit qu’elle ne veut pas nuire à ses relations avec les garçons. Ces relations forment le but personnel le plus important de sa vie. Il a l’intention d’aller en Suisse vers la fin de l’année pour voir au moins Albert en dehors de Zurich et passer quelques jours avec lui… « Dein Brief hat mich aufrichtig gefreut, weil ich aus demselben ersehe, dass Du meine Beziehungen zu den Buben nicht hintertreiben willst. Ich sage Dir meinerseits, dass Du meine Beziehungen zu
den Buben nicht hintertreiben willst. Ich sage Dir meinerseits, dass diese
Beziehungen meinen wichtigsten persönlichen Lebensinhalt bilden »....
– [30 novembre], à Albert. Il est très attristé par le ton de sa lettre sans amour (« lieblosen Ton »). Il voit que sa visite lui ferait peu plaisir, et ne voit pas pourquoi il passerait 2h.20 dans un train pour ne faire plaisir à personne. Il ne reviendra que si on le lui demande. Il ira de toute façon en Suisse à Pâques, car il doit assister à une réunion à Berne. Il peut envoyer le cadeau de Noël en espèces, mais juge qu’un cadeau de luxe à 70 fr. ne correspond pas à leur situation modeste... « Ich halte es deshalb nicht für richtig, mich dafür 2.20 Stunden in die Eisenbahn zu setzen, um damit niemand eine Freude zu machen. Erst dann werde ich Dich wieder besuchen, wenn Du mich selbst darum bittest. Ostern komme ich sowieso in die Schweiz, weil ich in Bern einer Sitzung beiwohnen muss. Das Weihnachtsgeschenk werde ich auf Deinen Wunsch in Geld senden. Ich finde allerdings, dass ein Luxus-Geschenk, das 70 fr kostet, unseren bescheidenen Verhältnissen nicht entspricht »...
– [10 décembre], à Mileva. Sa lettre l’incite tout de même à aller en Suisse. Parce qu’il y a une lueur de possibilité qu’il fasse ainsi plaisir à Albert. Il espère le trouver heureux. Car il est assez las et surmené, et incapable d’éprouver de nouvelles excitations et déceptions... « Ich bin nämlich recht abgespannt und überarbeitet, und nicht fähig, neue Aufregungen und Enttäuschungen durchzumachen »...
– [18 décembre], à Albert. Il renonce à venir, car il est trop difficile de traverser la frontière suisse. Mais il viendra les voir à Pâques. Il envoie l’argent pour le cadeau de Noël.
– [25 décembre], à Albert. Il remercie pour l’envoi des photos d’Albert et du petit ; rien en lui avait fait autant plaisir, depuis longtemps ; il n’arrête pas de les sortir de son portefeuille et de les regarder. Mais il va falloir patienter encore quelques mois pour leurs retrouvailles. Il esttrop fatigué pour tout ce voyage, il n’a que peu de temps et hésite aussi à dépenser beaucoup d’argent. Il se rattrapera en avril. Mais Albert peut en attendant dégringoler sur le Zürichberg sur ses glissoires en bois (Rutschhölzem). Il lui
recommande de sortir pour se renforcer, et de prendre du chlorure de
calcium. Bises à partager avec Tete...
▬ 1916.
– Berlin 12 mars, à Mileva. Il est surchargé de travail à cause de divers manuscrits. Faisant allusion au divorce, ce sera pour elle une simple formalité, mais pour lui, c’est un devoir incontournable (« ich
durch verschiedentliche Manuskripte mit Arbeit sehr überlastet bin. Du brauchst Dir gar keine Sorgen zu machen. Es handelt sich für Dich um eine blosse Formalität, für mich aber um eine unabweisbare Pflicht »). Elsa
a deux filles dont la plus âgée a 18 ans, c’est-à-dire d’âge nubile. Cette enfant, qui est de toute façon lourdement handicapée par la perte d’un œil, souffre des rumeurs qui circulent sur la relation d’Einstein avec sa
mère. Cela lui pèse et doit être régularisé par un mariage formel (« Elsa hat zwei Töchter, deren ältere 18 Jahre alt ist, d. h. im heiratsfähigen Alter. Dies Kind, welches sowieso durch den Verlust eines Auges schwer
benachteiligt ist, hat unter den Gerüchten zu leiden, welche bezüglich meiner Beziehungen zu ihrer Mutter umlaufen. Dies lastet auf mir und soll durch eine formale Ehe gutgemacht werden. Auch für Dich bedeutet
diese formale Aenderung einen Gewinn, insofern Deine Rechte dadurch klar festgelegt werden »). Les droits de Mileva seront clairement définis, et Einstein veut faire encore plus que ce à quoi il s’était engagé :
1) 5600 M annuels pour sa consommation ;
2) déposer son argent de Prague ainsi que 6000 M d’économies au profit de leurs enfants dans un lieu approuvé par eux deux.
3) Déposer au moins 3000 M par an pour créer un fonds de réserve. En se mettant ainsi sur la paille, il veut prouver à Mileva qu’il se soucie du bien-être de ses garçons par-dessus tout au monde. Personnellement, il est là avant tout pour eux. Le divorce n’a rien à voir avec sa relation avec les garçons. Il réclame le droit, lorsque la paix sera rétablie, d’avoir ses enfants non seulement lors de voyages, mais aussi chez lui pendant le peu de temps qu’il lui sera permis d’être avec eux ; ils seront seuls avec lui et ne seront exposés à aucune influence extérieure.
Car il n’abandonnera jamais l’état de vivre seul, qui s’est révélé à lui comme un incomparable bienfait. Il ajoute
4) qu’en cas de décès, Mileva sera assurée d’une rente, ainsi que sur les avoirs d’Elsa en cas de décès de cette dernière. Et enfin
5) Le nouveau mariage se fera en complète séparation de biens, c’est-à-dire sans dommage matériel pour Mileva.
Elle pourra ainsi envisager l’avenir avec un esprit serein. Quand elle aura donné son accord, il confiera l’affaire à un juriste, afin que tout soit bien réglé. Dans 14 jours, il essaiera d’aller à Zurich. Mais si on ne le laisse
pas passer, il restera à Singen et demandera à Albert de venir jusqu’à lui...
– [16 mars], à Albert. Il va tâcher de venir début avril à Zurich. Si on ne le laisse pas sortir, ils se retrouveront à la frontière (Gottmadingen près de Schaffhouse). Quoi qu’il en soit, il restera à l’auberge, donc ils seront tous les deux seuls, sans étrangers autour. Il le félicite d’avoir réussi son examen. Dans quelle école ira-t-il ? Il lui reproche de faire trop de fautes d’orthographe...
– Zurich 6 avril, à ses chers Adn et Tete. Il vient d’arriver à l’hôtel Gotthard près de la gare, chambre 50 ; il a hâte de les voir, et les attend le lendemain (vendredi) matin entre 9 et 12 h. à l’hôtel.
– 8 avril, à Mileva. Il la félicite pour la bonne condition des garçons. Ils sont dans la meilleure condition possible, tant physiquement que mentalement. Il sait que cela est dû en grande partie à la bonne éducation que leur donne Mileva, qu’il remercie de ne pas l’avoir éloigné des enfants. Ils l’ont rencontré librement et gentiment. Il est très heureux de pouvoir passer quelques jours seul avec Albert. Quant à Mileva, une discussion entre eux n’aurait aucun but et ne pourrait servir qu’à rouvrir de vieilles blessures. Autant qu’il sache, un divorce ne peut avoir lieu que sur la base d’un procès intenté par Mileva : puisqu’il doit figurer comme coupable, il ne peut pas se poursuivre lui-même. Mileva est-elle prête à déposer une demande de divorce contre lui ? Elle ne risque rien ; et elle peut indiquer elle-même les conditions dans lesquelles elle accepterait de divorcer. Il pense que la chose sera plus facile à Berlin. Tout sera fait ouvertement et honnêtement... « Vor allem meine Hochachtung wegen des guten Zustandes unserer Buben. Sie sind körperlich und seelisch in bester Verfassung, wie ich mirs nicht besser wünschen könnte. Und ich weiss, dass dies grossenteils Deiner richtigen Erziehung zu verdanken ist. Ebenso bin ich Dir dankbar dafür, dass Du mir die Kinder nicht entfremdet hast. Sie kamen mir frei und net entgegen. [...] Eine Scheidung zwischen uns kann – soviel mir bekannt ist – nur auf Grund einer von Dir ausgehenden Klage erfolgen. Denn da ich als der schuldige Teil figurieren muss, und ich mich selber nicht verklagen kann, scheint dies die einzige Möglichkeit. Nun ist die erste Frage: Bist Du prinzipiel geneigt, eine Scheidungsklage gegen mich einzureichen? Wenn nein, so entfallen die Du kannst ja selbst die Bedingungen angeben, unter denen Du mit einer Scheidung einverstanden wärest. Wenn Du prinzipiel geneigt bist, eine Klage einzureichen, nachdem wir uns über die Bedingungen verständigt haben, entsteht die Frage, ob die Verhandlungen hier oder in Berlin stattzufinden haben. Soviel ich weiss, ist es unsicher, ob dies hier sein kann. In Berlin ist es sicher möglich, und weniger langwierig. Da nichts geschieht ausser unter Bedingungen, mit denen Du einverstanden bist,
so gibst Du nichts ausser der Hand, wenn die Klage in Berlin eingereicht wird. Alles wird offen und ehrlich gemacht werden. Ich erwarte also Antort auf folgende Fragen.
1) Bist Du bereit, falls wir uns über die Bedingungen einigen, die Klage einzureichen?
2) Welches sind im Ja-Falle etwa Deine Bedingungen
3) Bist Du im Falle des Einverständnisses bezüglich
1) und
2) bereit, mit der Ausführung der Formalitäten den schon avisierten Berliner Anwalt zu betrauen »...
– 15 avril, à Albert (Adn). Il l’attend lundi à l’Institut de Physique.
– Berlin 26 septembre, à Albert. Cela fait trois fois qu’il écrit sans avoir de réponse. A-t-il oublié son père ? C’est avec une grande satisfaction qu’il apprend de ses amis Zangger et Besso que « Mama » va mieux... Collection Harvey B. Plotnick (The Harvey Plotnick Library of Quantum Physics, vente New York 4 octobre 2002, n° 63). Christie’s 9 June 2005 lot 0054
▬ 1918, Berlin.
– 26 avril, à Mileva. [Difficultés sur le droit de visite d’Einstein à ses enfants, limité à la Suisse]. Il cède pour les enfants ; il ne laisserait pas du tout les enfants voyager seuls. Peut-être plus tard acceptera-t-elle de donner les garçons sans hésitation. En attendant, il les verra en Suisse. Il suggère qu’au lieu d’en Suisse, le contrat pourrait indiquer « hors du lieu de résidence du professeur Einstein » ou quelque chose de similaire.
D’ailleurs, il n’y attache aucune importance, et espère la satisfaire à tel point qu’elle ressentira le besoin de l’accueillir également...
– 23 mai, à Mileva. Il lui fait virer 40.000 marks, et lui demande d’envoyer le contrat et de demander le divorce. Il va faire également un dépôt de 20.000 M, dont les intérêts devraient revenir à Mileva en cas de décès, dès qu’ils
seront d’accord sur le contrat. Il doit renoncer au voyage en Suisse à l’été, mais compte aller passer deux mois dans un village isolé sur la mer Baltique [Ahrenshoop sur l’Ostsee], et il serait heureux si Albert ou même Albert et Tete pouvaient l’y rejoindre. On y naviguerait beaucoup, dans une baie abritée, mais pas en pleine mer....
▬ 1919.
– [Zurich 10 janvier], à Mileva et Albert. Il s’occupera des graines rares pour oiseaux quand il reviendra à Zurich. Il doit partir pour affaires, et essaiera d’aller passer quelques jours près de Tete à Arosa. Son train
part dans 2 heures. Sa santé est incomparablement meilleure que l’année passée...
– [Berlin] 13 juin, à Albert. Il prévoit d’être à Zurich le 1° juillet [pour des conférences à l’Université]. Il viendra seul et séjournera à la Pension Sternwarte. Il tâchera de ne pas oublier d’apporter les plaques photographiques sur lesquelles l’enfance des garçons est immortalisée ! Il a hâte de les revoir. Le médecin ne lui permet pas de faire une véritable tournée à cause de son régime. Il faudrait trouver à se loger quelque part en altitude où il y a de belles balades à faire (ou quelque part où l’on peut naviguer). Ce serait au début du mois d’août quand ses cours se termineront. Malheureusement, sa mère est en phase terminale à Lucerne. Elle mourra bientôt, dans un an sûrement, et souffrira terrible-
ment (« Leider liegt meine Mutter todkrank in Luzern. Sie wird sicher (im nächsten) innerhalb eines Jahres sterben und leidet schrecklich ») [Pauline Einstein mourra d’un cancer, le 20 février 1920]. Alors bien sûr il devra être plus souvent près d’elle. Il aura du mal à envoyer à « Mama » l’argent de juillet, à cause des terribles difficultés monétaires (« Die Valuta macht jetzt grässliche Schwierigkeiten »). Il va toucher quelque chose pour ses conférences à Zurich, mais peu. Il est en bonne santé parce qu’il est bien soigné. Mais il doit toujours suivre un régime strict. Il s’inquiète des études d’Albert ; lui-même non plus n’aimait pas vraiment l’histoire ; mais c’est probablement plus lié au type d’enseignement qu’à la matière elle-même, c’est certainement très intéressant d’apprendre ce que les gens ont fait dans le passé (« Es ist doch gewiss an sich sehr interessant, was die Menschen in früheren Zeiten getrieben haben »). Ils pourraient peut-être aussi emmener Tete avec eux, puisque lui-même n’a pas le droit de marcher beaucoup. Mais il ne veut pas aller à Rheinfelden [où Mileva fait une cure] car ce ne serait pas du tout une détente pour lui. Il ajoute quelques mots affectueux pour Tete...
– [Berlin] 16 novembre, à Mileva. Il explique d’abord l’erreur de la banque de Zurich qui n’a pas viré les 2 000 M à Mileva... Ses économies sont si terriblement dévalorisées qu’elles ne servent pas à grand-chose. D’autant plus qu’il faut épargner
la petite somme d’argent suisse, qui a conservé en grande partie sa valeur. Il conseille à Mileva de déménager en Allemagne. Il fera, dès que possible, des démarches pour lui trouver un appartement dans une ville convenable de Baden, ce qui n’est pas une mince affaire compte tenu de la terrible pénurie de logements. Elle pourrait louer l’appartement zurichois meublé, ce qui éviterait un terrible déménagement. On pourrait aussi faire un échange d’appartement avec une famille de Baden qui
voudrait aller en Suisse...
▬ 1920, Berlin.
– 7 janvier, au D r Zürcher. Au sujet des envois d’argent à sa femme, et aux problèmes de change. Il s’interroge sur l’opportunité de faire déménager sa famille.
– 1 er août, à Tete (Eduard). Sa lettre détaillée avec les belles photos lui a fait extrêmement plaisir. Ils se voient si peu ! Mais il est un homme occupé et ne peut voyager qu’un peu depuis Berlin. De plus, vu les conditions difficiles actuelles, la Suisse est trop chère pour lui. Il se réjouit de retrouver Tete le 5 octobre à Benzingen près de Sigmaringen. Ils habiteront soit chez son ami le pasteur, soit chez une femme du pays. Il espère qu’ils pourront y rester ensemble au moins 10 jours. Il doit ensuite aller en Hollande pour donner une conférence. Ils ont été si peu ensemble tous les deux qu’il connait Tete très peu, même s’il est son père. Et Tete n’a probablement qu’une idée assez vague de son père, qui veut faire un effort pour changer cela. C’est en partie parce que Tete a été tellement malade (« Wir beide waren noch so wenig beisammen, dass ich Dich noch gar wenig kenne, trotzdem ich Dein Vater bin. Du hast gewiss auch nur eine ziemlich unbestimmte Vorstellung von mir. Ich will mir aber Mühe geben, dass dies anders wird. Zum Teil kommt es daher, dass Du so viel krank warst »). Il est heureux de le savoir un bon élève ; l’écriture manuscrite était aussi une faiblesse pour lui. Qu’il ne soit pas
ambitieux à l’école ; peu importe si d’autres sont de meilleurs élèves que lui. Il a hâte de lui parler. Il connait assez bien les centres d’intérêt d’Albert car il passé près d’un mois avec lui l’année passée...
– Leyde 5 mai 1922, à Albert, à qui il souhaite un joyeux anniversaire en avance. Il a hâte d’être aux vacances. Le navire sera peint. Il faut qu’Albert rassure sa mère à propos de ses études, et qu’il en fasse assez pour obtenir son baccalauréat ; il n’a pas besoin d’être brillant. Albert pourra faire de la musique chez Katzenstein ; ils pourront même peut-être trouver un piano là-bas. Anschütz invite les garçons dans la maison de convalescence qu’il aménage pour les étudiants universitaires de Munich près du lac de Constance...
▬ 1923, Berlin.
– 18 mai, à Mileva. Il donne son accord pour l’achat de la maison, et fera envoyer l’argent ; mais il faut se renseigner pour la taxe sur le capital. De son côté, il va récupérer tout de suite l’argent de Stockholm....
– 23 mai, à Mileva. Il fait virer 45 000 fr. à Albert Karr de Stockholm pour l’acompte sur l’achat de la maison. Le reste sera déposé ans une banque de New York en obligations en dollars argentins, suédois et danois...
– 16 juillet, à Tete (Eduard), qu’il charge de dire à sa mère de ne pas garder les 45 000 francs suisses à la banque pendant des mois, car le franc suisse est fragile, mais de les échanger contre des dollars immédiatement si on ne peut pas acheter tout de suite la maison. Il serait même préférable d’acheter des obligations en dollars suédois, danois ou argentins au lieu de dollars...
▬ 1924.
– Berlin 1 er février. Il lui envoie la copie ( jointe) de ses instructions à la banque Ladenburg, Thalmann & Co. à New York. Il remplit ainsi la clause de leur contrat qui stipule qu’en cas de divorce et s’il reçoit le prix Nobel, il en cède à Mileva le capital. Il est également stipulé qu’elle aura le droit de disposer librement de l’intérêt, mais seulement avec le consentement d’Einstein quant au capital. Contrairement aux termes du contrat, il a effectué le dépôt auprès d’une banque nord-américaine, plutôt qu’une banque suisse, jugeant cela plus avantageux et plus sûr dans l’intérêt de Mileva et des enfants, en raison des circonstances consécutives à la guerre...
– Kiel 12 mai, à Mileva. Il a toujours été favorable à l’achat d’une maison. Et si Zangger le conseille, alors il ne faut pas hésiter à l’acheter. Sa mauvaise humeur de l’été vient du fait qu’il a été offensé par les lettres de Tete et d’Albert. Mais il a maintenant l’impression d’avoir eu tort dans la mesure où il n’y avait de leur part aucune attitude hostile. Tout semble différent de loin, et la colère se mêle facilement aux choses les plus anodines par incompréhension. Il veut venir à Zurich dans un avenir proche, et ils oublieront tout ce qui s’est passé dans le passé, dans la mesure où c’est mauvais. On ne doit pas toujours être mesquin, mais plutôt être heureux des belles choses que la vie apporte : de beaux enfants, la maison, le fait de ne plus être mariée avec lui... Anschütz aimerait placer un jour son usine entre les mains d’Albert. Einstein a une haute opinion de l’avenir de cette entreprise et croit qu’Albert en serait tout à fait capable. Mais si la possibilité est sérieusement envisagée, il faudrait tenir compte des études d’Albert.... [Plus 3 lettres du Prof. Fritz Haber à Mileva à ce sujet].
– [Berlin] 28 novembre, à ses chers enfants Albert et Eduard. Il est très heureux de la bonne nouvelle. Il félicite Tete pour son dessin ; il n’a pas hérité ce talent de son père. Félicitations aussi à Albert, qui a bien fait tous les calculs de mesure sans instructions complètes. Il espère le voir avant son voyage en Amérique du Sud. Le navire quitte Hambourg le 5 mars. Il regrette de ne pouvoir les emmener avec lui, car l’école ne le permet pas. Alors il voyagera tout seul. En été, il viendra à Kiel, où ils seront tous les trois ensemble. Tete doit aussi faire du bateau de temps en temps ; c’est le meilleur coup de pouce pour la santé. Il a lu Sainte Jeanne de G. B. Shaw : c’est une grande pièce qu’il faut lire ou voir...
▬ 1925, Berlin. – 22 juin, à Tete (Eduard). Il l’engage à venir le rejoindre dès le début de ses vacances. Il ne peut pas quitter Berlin en juillet, parce qu’il a été absent si longtemps, et aussi parce que d’importants travaux scientifiques le retiennent... – 16 juillet, à Mileva (« Liebe Miza ! »), à la suite d’une lettre de Tete à sa mère. Ils sont heureux ensemble. Il pense que Tete se développe bien physiquement et mentalement, c’est un bon compagnon. Ils ont fait beaucoup de musique ensemble. Ils sont allés au zoo. Demain, ils navigueront. Malheureusement il doit partir pour Genève le 25 au soir...
– 23 juillet, à Mileva. Après de longues délibérations, ils ont décidé de laisser Tete à Kiel. Après-demain les deux garçons partent, et Einstein va à Genève (Commission de la coopération intellectuelle, Société des Nations, Genève). Il compte les rejoindre vers le 1 er août à Zurich. Albert est un type splendide, Tete est intelligent, mais bien sûr encore un peu embryonnaire : « Albert ist ein Prachtskerl, Tete gescheit, aber natürlich noch ein bischen ein Embryo »... (Au dos, lettre de Tete à
sa mère).
– 26 octobre, à Tete (Eduard). Einstein recopie le poème qu’il a envoyé au vieux banquier Fürstenberg, qui a fait de nombreuses blagues brillantes, pour son 75 e anniversaire, afin que Tete puisse voir que son vieux père a aussi un faible pour la jolie muse (« damit du siehst, dass Dein alter Herr auch was für die holde Muse übrig hat »). Le poème compte 14 vers : « Glück wünsch’ ich dem Finanz-Magnaten »...
– 23 décembre, à Mileva [au sujet de son opposition au mariage de Hans Albert avec Frieda Knecht, redoutant des tares génétiques]. Il est heureux que sa lettre ait fait impression sur Albert. Il espère qu’elle sera utile. Ce serait un crime pour lui de mettre de tels enfants au monde. Einstein aimerait tant lui donner une femme capable et des enfants en bonne santé, ce qui serait mieux dans 2 ou 3 ans... « Es freut mich sehr, dass mein Brief auf Albert Eindruck gemacht hat. Hoffentlich hilft er. Es wäre ein Verbrechen von ihm, wenn er solche Kinder auf die Welt setzte. [...] Ich möchte ihm so gern eine tüchtige Frau und gesunde Kinder gönnen, allerdings besser erst in 2 oder 3 Jahren »...
▬ 1926, Berlin.
– 6 mars, à Tete, qu’il félicite pour ses poèmes, en lui recommandant de faire attention au rythme : « Deine Gedichteln sind wirklich nett. Wahrscheinlich ist Eure Schule noch nie so inbrünstig verherrlicht worden wie durch Dein Sodom und Gomorrha. Ich habe alles aufmerksam gelesen und finde die Verschen recht gut Schau aber nur, dass der Rythmus nicht chronisch wird, dass Du die Prosa nicht verlernst, sonst geht Dirs schlecht in dieser prosaischsten aller Welten »... Il a le 15
juillet une réunion à Genève, puis ils partiront en vacances ensemble. Il préférerait être quelque part en hauteur, mais où l’on peut marcher en manches de chemise, où les gens ne vous regardent pas fixement et où cela ne coûte pas trop cher (« Am liebsten wär mirs irgendwo hochhinauf, wo man aber in Hemdärmeln gehen kann, nicht begafft wird, und es nicht gar so viel kostet »). Ils pourraient faire aussi une petite randonnée avant, et rencontrer Langevin et M me Curie. Il prie enfin Tete de lui écrire quelque chose sur sa vie ; il sait si peu de choses sur ce qui se passe en lui : « Schreib mir doch einmal etwas über Dein Leben und Schicksal. Ich weiss so wenig darüber, was in Dir vorgeht, was Dich freut und was Dich wurmt »...
– 6 mars, à Mileva. Il partage sa crainte au sujet d’Albert. S’il n’avait pas d’enfants à attendre de la fille, il ne prendrait pas une telle position. Mais l’hérédité de leurs enfants n’est pas parfaite de toute façon. S’il y a une tare supplémentaire, alors ce serait un vrai malheur. Einstein veut tout faire pour éviter l’accident. Si Albert persiste ensuite dans sa volonté après que tout ce qui lui a été présenté, il en portera seul la responsabilité... « Ich begreife auch Deine Angst wegen Albert. Wenn er keine Kinder von dem Mädchen zu erwarten hätte, würde ich nicht so energisch Stellung nehmen. Aber die Erbmasse unserer Kinder ist sowieso nicht einwandfrei. Wann nun noch eine Be- lastung hinzukommt, dann ist es ein wahres Unglück. [...] Wenn ich nicht alles thäte, um dem Unglück vorzubeugen, müsste ich mir schwere Vorwürfe machen. Wenn er dann doch auf seinem Willen beharrt, nachdem man ihm alles vorgestellt hat, so trägt er eben allein die Verantwortung »...
– 3 avril, à Mileva. Il s’inquiète pour Albert. Il semble marcher aveuglément vers sa perte sans qu’on puisse rien faire (« Ich bin besorgt wegen Albert, da ich gar nichts mehr höre. Er scheint blind in das Verderben zu laufen, ohne
dass wir was thun können »). Il viendra en juillet passer les vacances avec Tete. Il souhaite un endroit à une altitude élevée, au moins 1500 m, où il n’y ait pas un fort tourisme. Il devra retourner à Genève pour quelques jours, mais il pourrait emmener Tete avec lui. Car il voudrait rester avec lui le plus longtemps possible...
– 22 juin, à Mileva. Le 11 il aura déjà une réunion à Genève, et cela se poursuivra jusqu’à la fin juillet. Il suggère à Mileva de garder Tete jusqu’au 1 er août, puis de le lui remettre. Il aimerait aller quelque part avec lui pendant 2 semaines, peut-être en Engadine, mais où ce n’est pas trop cher. L’essentiel : la haute altitude et le soleil. Il est censé monter là-haut pour sa santé, et Tete s’en trouvera sûrement bien aussi. Il évoque encore le problème d’Albert, qu’il comprend très bien, ayant agi de même quand il était dans sa situation (« Ich begreife das aber ganz gut. Ich habe es ja auch so ähnlich gemacht, als ich etwa in seiner Lage war »). Les lettres de Tete lui apportent une grande joie. Il est très nécessaire qu’il soit avec lui aussi souvent que possible pendant son développement turbulent (« Tetes Briefe machen mir sehr viel Freude. Ich glaube, es ist sehr nötig, dass ich jetzt in der Zeit seiner stürmischen Entwicklung möglichst oft mit ihm zusammen bin »)...
– 15 octobre, à Mileva. Il revient d’une rencontre de naturalistes à Düsseldorf, puis il a été en Hollande et à Kiel près d’Anschütz. Il évoque la collection de cactus de Mileva ; l’enquête concernant le frère de Mileva, disparu pendant la guerre ; l’avenir d’Albert dans l’affaire d’Anschütz ; l’affaire du mariage d’Albert et de ses éventuels enfants...
▬ 1927.
– Berlin 27 janvier, à Mileva (à la suite d’une lettre de Hans Albert « Adn » à sa mère). Adn est devenu un type splendide, un vrai homme qui sait ce qu’il veut (et malheureusement fait aussi ce qu’elle [Frieda] veut). Il lui a dit son opinion sur la progéniture avec beaucoup de sérieux. Mais Adn ne parle pas... « Der Adn ist ein Prachtskerl, ein richtiger Mann geworden, der weiss was er will (leider auch thut was sie will). Ich hab ihn nicht viel geplagt, aber ihm doch meine Meinung wegen der Nachkommenschaft mit grossem Ernst gesagt »...
– [Fin février], à Mileva. Au sujet de Tete, redoutant pour lui les flatteries qui attisent son amour-propre. Il pourrait perdre la tranquillité sans laquelle un développement plus profond est impossible. Ensuite, il devient facilement complaisant, perd la critique de lui-même et devient plus tard aigri lorsqu’il ne trouve pas de résonance dans un monde plus large. Il faut lui inculquer qu’il doit tendre vers un travail normal qui lui procurera une certaine sécurité de position sociale qui assurera son équilibre intérieur. Créer de la littérature comme occupation principale est aussi absurde qu’un animal qui ne mange que des lys... / la suite du texte est à lire sur le PDF - Années 1928,1929,1930,1931,1932,1933,1936,1937,1939 etc
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